Imbroglio juridique et
destin post-charismatique
de l’Eglise du
Christianisme Céleste
Ce texte [ 1 ] a été présenté par le
Dr. Afe
Adogame, University of Bayreuth, Germany
à l’occasion de :
The 2002 CESNUR International Conference
Minority Religions, Social Change, and Freedom of Conscience
Salt Lake City and Provo (Utah),
June 20-23, 2002
Sommaire :
Bref aperçu historique de l’ECC
La structure hiérarchique de l’ECC
La structure organisationnelle de l’ECC
La structure financière de l’ECC
Du menuisier au Prophète : les charismes de SBJ
Oschoffa
La pérennisation des charismes d’Oschoffa
La mort d’Oschoffa et ses suites. La bagarre juridique.
Répertoire des Notes explicatives
Une affirmation qui reste ancrée dans les
esprits et donne quelquefois lieu à des discussions animées sur les nouveaux
mouvements religieux, est bien que la période immédiatement postérieure à la disparition du fondateur-leader
charismatique est propice à la disparition du mouvement, ou pour le moins fait
apparaître de graves dysfonctionnements dans le mouvement nouveau-né.
L’Eglise
du Christianisme Céleste (ECC) est certainement celui de ces mouvements
indigènes « prophétiques et charismatiques » qui a atteint le plus
haut niveau de notoriété dans les couches populaires et a connu la plus grande
implantation géographique de l’ouest africain.
Elle est
née en 1947 des visions et des prodiges charismatiques d’un « menuisier
devenu prophète », Samuel Bilehou Oschoffa (1909-1985). Au cours des encore peu nombreuses
décades de son existence, elle a transcendé toutes les frontières
géo-ethnographiques en rassemblant des fidèles se comptant par plusieurs
millions, et en créant plus de 5000 paroisses
disséminées partout dans le monde.
La mort du
Pasteur-Fondateur en 1985 a provoqué une période de marasme dans l’histoire de
l’ECC. Le présent document examine la période « post-charismatique »
de l’histoire de l’ECC, celle qui a suivi la disparition du Pasteur-Fondateur.
Il décrit la toujours actuelle crise juridique qui est née des suites de la
disparition du Fondateur, il explique
comment l’ECC s’est efforcé d’assumer les problèmes de succession au niveau de
la direction du mouvement, et comment elle a su maintenir et diffuser le
caractère charismatique qui fait la spécificité de cette église.
Nota bene : les numéros entre crochets [ 1 ] renvoient aux notes explicatives
situées en fin de document.
L’ECC représente une communauté
religieuse charismatique qui a connu le plus large succès dans les couches
populaires de l’ouest africain. L’ECC est apparue aux détours de la vie et des
expériences et visions mystiques d’un personnage charismatique, Samuel Bilehou Oschoffa (1909-1985),
négociant en bois de son état, qui naquit et grandit à Porto-Novo, dans
l’actuelle République du Bénin. En 1947, Oschoffa
proclame avoir vécu pour la première fois une expérience bouleversante au cours de laquelle il
rencontre Dieu, qui lui demande de fonder une Eglise. Le noyau de l’ECC se
constitue à la suite de ces événements à Porto-Novo, puis l’Eglise se répand
dans un premier temps dans toutes les villes et villages du Dahomey, devenu
aujourd’hui le Bénin. Alors que le mouvement se diffuse au Bénin dès 1947, il
commence son expansion au Nigeria pas plus de trois ans après, dès 1950, pour
ne plus s’arrêter et connaître un succès et une notoriété planétaires, comme on
peut le constater aujourd’hui dans le monde entier.
Au cours de la décade
suivante de sa diffusion au Nigeria, l’ECC fait preuve d’une croissance
fantastique à partir de sa base de départ de Makoko-Lagos,
puis en investissant toutes les régions de langue Yoruba, pour enfin s’étendre sur tout le territoire
nigérian. Ensuite, en même temps que l’Eglise s’implantait en dehors du
complexe géo-ethnique Yoruba dans les autres zones du pays, des paroisses
étaient créées à la fois par des fidèles
Yoruba et non-Yoruba dans les autres pays de la sous-région ouest-africaine, à
savoir le Togo, la Côte d’Ivoire, le
Cameroun, le Ghana, le Sénégal, et dans
des pays plus lointains, aux USA, au Royaume Uni, en Allemagne, en Autriche, en
Suisse, aux Pays-Bas et en France.
En 1975, l’Eglise pouvait
s’enorgueillir de 150 paroisses au Nigeria, aussi bien que d’un afflux constant de nouveaux membres dans la
République du Bénin. Au cours de l’année suivante, l’Eglise totalisait un
effectif de 254 paroisses dont 168 au seul Nigeria et 86 en dehors [ 2 ]. En 1977, le total se montait à 282,
se répartissant en 194 au Nigeria et 88 en dehors. Une croissance géométrique
fut enregistrée en 1981 avec un pic de 547 paroisses, 452 au Nigeria et 95 en
dehors. Le nombre des paroisses et lieux de lecture de la bible enregistrés par
l’Eglise, a connu encore une magnifique progression durant les trois années qui
viennent de s’écouler. En 1994, 1995 et 1996, le nombre total des paroisses
dans le monde s’est élevé respectivement à 1852, 1914 et 2051 [ 3 ] . Ces chiffres ne sont que
partiellement représentatifs dans la mesure où ils ne recensent que les comptes
officiels de l’ECC. Entre 1976 et 1996, le nombre des paroisses de l’ECC est
passé de 257 à 2051. Selon ces chiffres, 1744 paroisses sont situées au Nigeria
et les 307 autres sont dispersées dans le reste du monde, en Afrique, en
Europe, aux USA, au Canada, et ailleurs encore.
L’organisation globale de
l’ECC est structurée autour de l’autorité centrale du Pasteur (le Fondateur).
En tant que chef à la fois des affaires spirituelles et administratives le
Pasteur détient une autorité indiscutée sur tous les sujets, et justifie son
autorité par les charismes dont il est seul dépositaire. L’organisation interne
de l’Eglise se traduit par une structure hiérarchique complexe, qui pourrait être
analysée en deux parties, les cadres supérieurs et les cadres inférieurs. Ces
derniers (les cadres inférieurs), s’organisent selon une progression verticale
à trois ordres séparés mais comportant des connections. Ce sont les ordres des
Leaders, des Woliders et Wolijah
(les Prophètes et Visionnaires), et des Elders (Anciens). Bien que non nécessairement égaux en
nombre de degrés, ces trois ordres parallèles se retrouvent tous égaux en
niveau au dernier degré de leur hiérarchie : Superior Senior Leader,
Superior Senior Wolider/Wolijah,
Superior Senior Elder. Ils constituent le plus rang le plus élevé qu’il est
possible d’atteindre par promotion à l’ancienneté. L’ordre des Leaders est
exclusivement réservé aux hommes, les autres pouvant être au choix masculin et
féminin. En conséquence, les membres qui ont atteint ces grades ne peuvent espérer connaître par promotion simple des
grades de degré plus élevé, ceci sans
tenir compte de ce qu’ils sont au service de l’Eglise à temps plein ou à temps
partiel.
La possibilité d’être élevé
aux grades de la hiérarchie supérieure
pour ces plus hauts gradés de la hiérarchie inférieure dépend de deux
possibilités. La première réside dans la toute puissance
de l’autorité du Pasteur qui selon sa convenance peut décréter l’élévation de
qui il veut aux grades d’Assistant Evangéliste Honoraire, d’Evangéliste
Honoraire, ou plus. La deuxième dépend de la survenance d’une vacance dans les
rangs élevés de la hiérarchie supérieure. Une sélection à partir du grade de
Superior Senior Leader, Superior Senior Wolider et
Superior Senior Elder est opérée après un examen attentif de l’éligibilité des
candidats par le Pasteur, assisté par un Comité
spécial de Conseillers du Pasteur (Constitution de l’ECC, p. 49-50). Des
propositions d’élévation de gradés supérieurs des trois ordres à la hiérarchie
supérieure peuvent être faites par les comités des paroisses au Pasteur.
Toutefois, pour ce qui concerne les degrés ultimes, c’est le Pasteur qui
choisit lui-même les récipiendaires à l’onction.
L’une comme l’autre des
hiérarchies inférieure et supérieure peut en outre se décomposer en deux
classes, les administratifs et les prophètes (voir le tableau du système des
grades). Le Pasteur en vertu de son statut combine ouvertement les deux classes
à la fois. Chaque Paroisse est dirigée par les deux classes, à savoir si le
Chargé de paroisse est choisi parmi les Leaders ou les Anciens, le chargé en
second sera issu des Woliders, et vice versa. De la
sorte, ces deux types de gradés, conducteurs ou prophètes s’équilibrent
harmonieusement au sein de l’Eglise.
Aux origines de l’Eglise,
les membres disposant d’un emploi extérieur rémunéré ne pouvaient pas être
élevés à un rang plus élevé que celui de Superior Senior Leader. Seuls les
gradés qui se consacraient
entièrement au service de
l’Eglise pouvaient accéder à la hiérarchie supérieure. Mais on assiste
aujourd’hui à des dérogations avec l’apparition des grades d’Assistant Evangéliste
Honoraire, d’Evangéliste Honoraire, et de Senior Evangéliste Honoraire. Ces
gradés constituent le « corps des technocrates » de l’ECC. Certains
ont été jusqu’à qualifier les grades des Honoraires de « Officiers de
Sécurité des Célestes » et aussi de « financiers » de l’ECC [ 4 ].
L’onction est un rite de
passage qui a pour rôle d’introduire le fidèle dans la hiérarchie spirituelle,
et lui permet ensuite de s’élever d’un grade à un autre. Tous les nouveaux
arrivants sont gratifiés du titre de « frères » ou
« sœur ». Ils doivent
persévérer pendant à une période minimum de deux ans à ce niveau avant
de pouvoir recevoir leur première onction. Après leur onction inaugurale, le
fidèle a la possibilité de gravir les échelons de l’un des trois ordres. Il
peut devenir Aladura (frère ayant reçu sa première
onction), ou bien, s’il s’avère être apte pendant ses premières années à
transmettre des visions et/ou des
messages prophétiques reconnus authentiques, il peut lors de sa première
onction et par autorité du Pasteur ou de son représentant être reconnu comme un
Woly (prophète). L’administration des onction se renouvelle au moins tous les deux ans et permet
de gravir tous les grades jusqu’au dernier de l’ordre auquel on appartient.
L’ECC Mondiale est dirigée à partir de sa direction
générale internationale (international headquarters)
située à la « Mission House » à Ketu-Lagos.
La présidence de l’ECC (supreme headquarters)
est située à Porto-Novo au Bénin en vertu de la naissance de l’Eglise en ces
lieux. Le Conseil Pastoral (Pastor-in-Council), placé
sous l’autorité ultime du Pasteur représente le niveau de direction de l’ECC le
plus élevé. Le Conseil Pastoral est investi de la totalité de la machinerie du
gouvernement de l’ECC. Il englobe les chefs de diocèse et leurs adjoints, le
bureau des trustees, ainsi que de membres cooptés par le Pasteur, qui assure la présidence du Conseil Pastoral
(Constitution p.45). A la fin de 1997, Bada se livre à une tentative
« pour muscler les structures administratives et en instaurer de nouvelles
afin d’obtenir une gestion plus efficace et une discipline interne plus
ferme » [ 5 ], et il élargit la composition du
Conseil pastoral. Il le fait passer à 50 membres, issus de toutes les
localisations géographiques où il y a des paroisses, afin de représenter tous
les intérêts et les corps constitués de l’Eglise. Pour la toute première fois,
quatre femmes se retrouvent au sein de l’organisme législateur du plus haut
niveau de l’Eglise [ 6 ]. Un Bureau des Trustees est rattaché
à la seule autorité du Pasteur. Les
fonctions de ce Bureau des Trustee incluent en particulier la
préservation des propriétés foncières et des territoires paroissiaux de
l’Eglise. Il a la charge exclusive de la représentation de l’Eglise auprès des
autorités de l’Etat, ainsi que des autres organisations de tous ordres. Le
premier Bureau des Trustees était composé de Oschoffa, Bada, Ajanlekoko, Adefeso, Owodunni, Ogunlesi, et Banjo. Sogbetun fut incorporé suite à la disparition du
Pasteur-Fondateur en 1985 et au retrait « officiel » de Owodunni en 1994. Le Comité Mondial fut constitué comme un
organisme complémentaire du Bureau des Trustees, en ré-agrégeant des factions
diverses qui s’étaient fait jour dans la mouvance de l’Eglise après la mort du
Fondateur. Les Comités Exécutifs Nationaux (National Executive
Committees) furent mis sur pied dans tous les pays où
des paroisses s’étaient établies dans le but de combler le fossé de
communication entre les communautés des différents pays [ 7 ].
L’église est organisée en Diocèses : Nigeria,
Bénin, Togo, Côte d’Ivoire, et les pays extérieurs à l’Afrique. Le découpage
semble être établi à raison d’un diocèse par Pays, sauf pour ce qui concerne le
diocèse des pays extérieurs. A la tête de chaque diocèse est placé un
Chef de Diocèse, et un Comité général qui administre et gère les activités et
décisions du pays, des Zones, des Districts et jusqu’aux Comités
paroissiaux (Constitution, page 39). Il
existe des Directions Générales d’état (State headquarters)
au sein d’un diocèse, sauf dans les diocèse d’outre-mer
qui correspondent au niveau d’un territoire. Dans les Diocèses tels que le
Nigeria, une Direction générale d’état regroupe les Zones, Districts, et
paroisses d’un état fédéral, avec à sa tête un Evangéliste d’état ou de région
administrative. Dans les région nord et est du Nigeria
où la présence de l’église n’est pas aussi
dense que dans le sud et l’ouest, plusieurs états fédéraux sont placés
sous la charge d’un seul Evangéliste d’état. Conséquence du processus de modernisation
de sa structure administrative, l’église fut amenée à créer des Districts pour
subdiviser un Etat, à la tête desquels furent placés des Chefs de District [ 8 ]. Les paroisses d’un District furent
à leur tour organisées selon un critère géographique en Zones, dirigées par un
Evangéliste de Zone. Plusieurs Zones constituent un District.
Rameau final de cette hiérarchie, la paroisse
constitue une entité représentative d’une congrégation ayant son identité
propre. Sa direction est assurée par un Chargé de Paroisse (Oluso-agutan)
et son adjoint. Le Chargé est considéré comme le représentant du Pasteur.
L’équilibre entre le pouvoir spirituel et administratif est assuré au niveau de
la paroisse en ceci que si le Chargé est issu de l’ordre des Leaders ou des
Anciens, son adjoint sera issu de celui des Woliders,
et vice-versa. Le fonctionnement au jour le jour est assuré par un Comité
Paroissial de 33 personnes élues, assisté quelquefois par un Comité des
Anciens. Le Comité Paroissial constitue le « gouvernement » de la
paroisse. Il détient le pouvoir de délibérer sur la santé spirituelle,
matérielle, financière de la paroisse et sur son développement. Il peut aussi
statuer sur des mesures disciplinaires concernant les manquements mineurs qui
affectent la paroisse. Les sanctions sévères à appliquer aux membres qui se
sont dévoyés sont du ressort exclusif du Pasteur. Le Comité Paroissial peut
faire des recommandations et les transmettre via les différents niveaux
hiérarchiques jusqu ‘au Conseil Pastoral ou au
Comité Général. Les mesures disciplinaires graves nécessitent sans exception
leur ratification par le Pasteur.
L’église tire ses ressources financières du système
des dîmes, et accessoirement d’autres sources. La paroisse est alimentée par
les quêtes hebdomadaires recueillies lors des cultes, par celles de la Fête des
Moissons et sa vente de charité annuelle, par des appels de fonds
spéciaux, les actions de grâce, les
frais de voyage et les donations volontaires, pour ne citer que les principales.
Les deux tiers du montant de ces ressources
sont reversés sous forme de contribution mensuelle à la Direction
générale internationale (international headquarters).
Chaque paroisse est redevable d’une obligation (church
obligation) envers le Siège pastoral. Ces contributions mensuelles, connues
sous le nom de ‘Revenus du Pasteur’ (‘Pastoral Returns’
ou ‘Pastoral Dues’), sont utilisées pour faire tourner la machine
administrative. Elles sont redistribuées aux différents travailleurs de
l’église sous forme de salaires et d’appointements, et sont aussi affectées aux
dépenses d’administration de la Direction générale internationale.
Sont également tirées des Revenus de Pasteur les
aides versées à la famille du Pasteur Fondateur, à celle Bada, et celles de quelques
membres de la haute hiérarchie de l’église : Ajanlekoko,
Salako, Sobowale. Une
partie des redevances est gardée à part pour leurs frais de
fonctionnement. L’entretien financier de Oschoffa ainsi que celui de sa
famille avant et après sa mort, est reconnu avoir été assuré durant toute sa
vie au titre d’une règle intérieure jamais démentie. En 1984, le Pasteur réunit
le sommet de la hiérarchie et donna ses instructions sur la manière dont sa
famille devait être entretenue et ce qu’elle devait recevoir après sa mort. Il
stipula que durant une période de 25 ans après sa mort, tous les enfants de
moins de 20 ans devaient recevoir une pension alimentaire correcte de l’église [ 9 ]. Le fait que ces dispositions sont
toujours strictement respectées par les autorités de l’église est une autre
preuve que les charismes d’Oschoffa restent actifs.
Il
existe d’autres sources de revenu pour la Direction Générale internationale
(International headquarters) :
Aucune pression n’a pu être réellement constatée à ce
jour, s’exerçant sur les membres par les organes dirigeants de l’église, pour
obtenir le versement de ces contributions. Les membres considèrent leurs
versements, qu’ils font volontairement, comme la part dont ils doivent
s’acquitter dans le contrat qu’ils ont passé avec leur Dieu. Les montants
donnés sont supposés proportionnels au montant des bénédictions divines qu’ils
reçoivent en retour.
Max Weber a adopté et popularisé les concepts de
charisme et « charismatische
Herrschaf » dans le discours sociologico-scientifique,
en lui donnant un statut éminent dans sa sociologie des religions et sa
sociologie politique [
10 ]. En adoptant cette
nouvelle acception du charisme comme un don divin, il a mis également en relief
le « Gottesgnadentum » qu’il traduit
par « les dons gratuit de la Grâce » [ 11 ] qui peuvent être reçus en dehors
de l’ordination, et exercé en dehors de l’église officielle. Son regard se
concentrait principalement sur la croyance affirmée par les fidèles en les pouvoirs détenus par un
tel leader religieux, et sur celle du
leader lui-même en ses propres pouvoirs. Rappelons le point de vue de Weber,
que l’on peut résumer par ses définitions les plus souvent citées :
Le terme charisme sera
utilisé pour caractériser la qualité d’une personnalité individuelle qui fait
qu’il est considéré comme quelqu’un d’exceptionnel, (ou mis à part des autres
hommes ordinaires), et traité comme quelqu’un qui est investi de qualités ou
pouvoirs surnaturels, ou surhumains, ou au moins exceptionnels. Ces pouvoirs
sont vus comme non accessibles aux hommes ordinaires, et considérés comme de provenance divine
ou comme un don exemplaire, et qui vaut
à la personne qui en est doté d’être considéré comme un Chef. D’un point de vue
primitif, cette sorte particulière de qualité est sensée reposer sur des
pouvoirs magiques, ou encore sur des capacités de voyance, ou correspondre à
des personnes réputées pour leur dons de guérison, ou de sagesse en matière de
justice, ou d’exploits à la chasse, ou
d’héroïsme à la guerre. La seule chose qui soit importante est la manière dont
est en réalité perçu cette personnalité par ceux, les « fidèles » ou
les « disciples », qui apportent leur soumission à l’autorité de qui
émanent ces manifestations de charisme.(Weber
1947 : 358-9).
D’après les affirmations et témoignages des fidèles
d’Oschoffa et aussi de quelques non fidèles
concernant la nature de son travail et de sa personnalité, Oschoffa
correspond clairement à la description de Weber de la typologie du leader
charismatique, investi de qualités ou pouvoirs surnaturels, ou surhumains, ou
au moins exceptionnels (Weber 1978: 241). La Constitution de l’ECC (1980) en sa
deuxième version établit que : « L’Eglise du Christianisme Céleste
est une partie de la sainte Eglise spirituelle, universelle, unie, indivisible,
qui est descendue des Cieux sur la Terre par ordre divin…par le truchement
d’une personne seule, un homme qui est le fondateur de l’église, le Révérend
Pasteur, Prophète Fondateur Samuel Bilehou Joseph Oschoffa. » (Constitution, p. 2)
L’interaction et le renforcement entre la confiance
en soi du leader d’une part, et la dévotion de ses fidèles est un pré requis
pour la validité du charisme. Weber souligne le rôle de la reconnaissance et
des actions comme les deux indispensables critères pour « die geltung
der charisma », comme il l’explique :
« Si ceux pour qui il se sent missionné ne le reconnaissent pas, sa
mission échouera. S’ils le reconnaissent, il sera leur maître tant que ses
actions les conforteront dans leur reconnaissance » (Weber 1968 : 1113). A
l’évidence, il est obligatoire pour un leader charismatique de sans cesse
manifester ses pouvoirs charismatiques. Tout ce que tout le monde a dit d’Oschoffa avant et après sa mort s’avère en ce qui le
concerne une confirmation éclatante de l’affirmation précédente. La plupart des
observateurs scientifiques des nouvelles religions ou des mouvements
charismatiques en tant que faits de société s’accordent pour estimer que de
tels témoignages sont décisifs pour le leader charismatique, dans la mesure où
cela le conduit à être influencé par la conviction de ses fidèles en la réalité
de ses charismes et de son autorité.
Le statut charismatique d’Oschoffa
peut également être considéré à travers les différents titres dont il a
été gratifié. Tout au long de sa vie, il
a été connu et désigné comme
« Révérend, Pasteur, Prophète et Fondateur ». Le fait que tous ces
titres ou charges étaient combinés par lui seul est une caractéristique unique
qu’on ne trouve pas souvent dans la plupart des églises nées en Afrique. La combinaison de ces « titres » et de ces
« charges » sur la personne du Prophète Pasteur, dès les premières
années de l’église, démontre la double existence d’une autorité charismatique,
et d’une autorité sacerdotale qui s’exerce sur un clergé et une administration
organisés. La Constitution de l’ECC donne une image vivante de cette
coexistence et de la complexité de la hiérarchie créée par le Pasteur lui-même.
Elle se traduit essentiellement par deux
parties principales : la première section contient l’histoire de la
fondation et les ordonnances concernant la croyance et les rites, la deuxième
documente la structure administrative et la hiérarchie de l’église. C’est à
travers cette complexe mais efficace machinerie que l’église sera dirigée et
maintenue par le Pasteur tout au long de sa vie, et même après sa
disparition. Oschoffa
n’a pas seulement combiné charismes et autorité depuis la genèse du mouvement,
il a su garder cohérente et unifiée face aux charismes la structure qu’il avait
mise en place. Olupona a déclaré avec justesse
quelque part que « la coexistence à la fois de l’autorité charismatique
et du clergé administratif, observable dans l’Eglise Céleste depuis ses débuts,
n’est jamais autant visible que dans le double titre du fondateur de
l’église » [ 12 ].
L’articla 108 de la
Constitution souligne le statut du Pasteur :
Le Pasteur, en tant que l’ultime chef spirituel de
l’Eglise du Christianisme Céleste dans le monde entier, est seul investi de
l’autorité unique, ultime et absolue sur tous les sujets pouvant affecter la
vie de l’église, que ce soit en matière de projets, d’organisation, de
définition ou de propagation de la
doctrine, de l’éducation, de la législation ou de la discipline, et cela
quelque soient les termes de la présente constitution » (Constitution
P36). La totalité de la construction de l’église, en termes de structures ou
d’organisation, tourne autour de la seule personne du Pasteur Fondateur. Cette prérogative unique attribuée au Pasteur
par la Constitution a aidé dans une grande mesure à faire jaillir chez les
fidèles, et à rallumer, les sentiments de loyale obéissance et de soumission
envers lui. Durant toute la vie d’Oschoffa, son autorité
a été perçue comme sacro-sainte et impossible à remettre en question [ 13 ]. C’est ce qui explique qu’aucune
tentative de schisme ne s’est déclarée durant son règne. La structure
hiérarchique est élaborée et difficile à saisir facilement, comme expliqué plus
haut. Bien que la Constitution ait remis entre ses mains de chef et de leader
unique une autorité absolue et irréfragable, il n’en a pas moins créé une
structure de pas moins de 12 niveaux de grades. La structure de l’église peut
se lire selon deux lignes, celle des prophètes et celle des leaders. Néanmoins,
tous les agissements demeurent subordonnés au Pasteur-Fondateur qui reste le
seul responsable et dispose de la décision ultime sur tout
affaire concernant l’église et
ses membres.
L’attitude de révérence adoptée par ses disciples
envers Oschoffa n’a pas disparu après la mort du
Pasteur. Au contraire, nous avons constaté durant notre étude qu’à l’occasion
de la grande commémoration annuelle organisée en son honneur, ou en d’autres
circonstances, ou lors de cultes à l’église, la simple prononciation de son nom
pouvait plonger des fidèles en prière dans des transes, des tremblements et
agitations, et des émissions de cris et de parlers en langues [ 14 ]. Au cours de la cérémonie de ses
funérailles, un journal local rapporta le témoignage d’un membre de l’église
sur cet événement « comme étant celui de la mort d’un Dieu » [ 15 ]. Beaucoup de fidèles déclarèrent
avoir assisté à des phénomènes extraordinaires durant cette cérémonie apportant
la preuve des pouvoirs spirituels et surnaturels du Pasteur. La tombe du
Fondateur fut assiégée aussi bien par des fidèles que par la foule des non
célestes. Elle est devenue une cible
pour ceux qui sont en quête de pouvoirs spirituels, si bien que l’église
a dû émettre des avertissements envers les fidèles et leur interdire d’emporter
les carreaux de marbre de la sépulture ou le sable qui entoure la tombe d’Oschoffa
[ 16 ].
Comme je le disais par ailleurs,
« cette pléthore de charismes et ‘d’autorité sans
conteste’ du Pasteur, telle qu’elle est enchâssée dans la Constitution de
l’ECC, et cela se retrouve dans d’autres religions et d’autres mouvements, peut
s’avérer rentable, et tout à la fois peut, à l’épreuve du temps, se révéler un
obstacle lorsqu’il s’agira de pérenniser les actes du mouvement, d’élargir la
base, et de passer à des méthodes plus modernes de gestion de la congrégation.
Le côté difficilement praticable des dispositifs de la Constitution dans
l’optique de la succession à la charge
de Pasteur après le décès d’Oschoffa, et la crise de
direction du mouvement qui s’en est suivie ne peut être rejetés ou ignorés. D’aucuns pourraient arguer
sur ce point que aussi longtemps que ces dispositions sur la succession, qui
font que la nomination et la proclamation du futur Pasteur restent le privilège
et la prérogative exclusive du Pasteur en fonction, demeureront inchangées dans
la Constitution, elles constitueront un risque de conflits qui pourraient être
la source d’un schisme au sein de l’ECC » (Adogame
1999 : 54).
Ce que Weber a appelé ‘Die Veralltäglichung
des Charisma’ est traduit aujourd’hui par la
pérennisation des charismes [ 17 ]. La pérennisation des charismes met
en œuvre la transformation d’un processus qui est originaire d’un moment außeralltäglich c’est-à-dire ’hors du quotidien’, (exceptionnel, miraculeux), pour le faire exister dans l’espace du
quotidien (la vie banale et routinière de
tous les jours). Weber était passionné par la problématique théorique et le
sens du phénomène de la pérennisation. La plupart de ses travaux sur les
charismes sont consacrés à l’étude des voies par lesquelles « le problème
de la succession » se pose, et par lesquelles le groupe se met à manifester
le caractère d’une relation permanente qui le transforme en une communauté
stable [ 18 ]. Cette transformation devient
généralement apparente lorsque la personne du leader charismatique disparaît,
et donc lorsque se pose inévitablement la question de la succession. La façon
dont ce problème est vécu est très importante, à savoir si tous les membres du
groupe y sont confrontés et que le groupe continue d’exister. De ce vécu dépend
la nature de la relation qui va se créer au sein du groupe par la suite (Max
Weber 1947 : 364). Indéniablement influencé par les travaux de Weber, Toth
(1981 : 54) affirme que la
pérennisation des charismes est
fondamentale pour la réussite dans la conduite de sa vie par tout homme, aussi
fondamentale que l’ordre, la signifiance (le
sens), et le sentiment d’appartenance , dont la
légitimité rassure.
Le problème de la succession dans la pérennisation
des charismes est généré dans la plupart des cas par la disparition brutale du
leader charismatique fondateur, et c’est le cas de l’ECC, et cela met en danger
l’ensemble de l’édifice de la réalité socialement construite. Weber
(1947 : 371) note avec raison que le mécanisme de la pérennisation n’est
en aucune mesure lié avec celui de la succession, et n’est pas résolu lorsque
la succession a trouvé sa solution. Ceci est primordial car par là apparaît le
fait que le mécanisme passe par la pérennisation de la structure comme point de mire central
charismatique.
En considérant l’histoire de l’église sous l’angle
des charismes et de leur pérennisation, nous pouvons affirmer ici que l’ECC a pérennisé avec succès la transmission de ses
charismes, même si cette pérennisation n’a pas commencé avec le problème de la
succession. Comme nous l’avons souligné plus haut, les titres de Révérend, Pasteur, Prophète et Fondateur attribués à la
personne d’Oschoffa depuis la naissance du mouvement
démontre très largement la mixité se son pouvoir qui est à la fois celui d’une
autorité charismatique et du chef d’une organisation sacerdotale. Il a exercé
sa double qualité de « chef des prêtres » et de
« prophète » tout au long de sa vie. La structure hiérarchique et
administrative mise en place durant la vie du Pasteur a fonctionné de bout en
bout, même si le Pasteur Fondateur a toujours été considéré comme le seul détenteur
de l’autorité ultime sur toutes les affaires de l’église.
Bien que Weber ait exposé clairement le processus de
pérennisation à la suite de la disparition d’un chef de mouvement, l’histoire
de l’ECC révèle des signes de pérennisation des charismes d’Oschoffa
déjà de son vivant ( à savoir le fait que Bada ait
entrepris une tournée outre-mer). En conséquence, on pourrait affirmer que le
processus qui a commencé avant la mort d’Oschoffa a
connu un tour encore plus évident lorsque les membres durent affronter la dure
réalité que la mort du Pasteur fit surgir devant eux. Un autre signe de cette
institutionnalisation au sein de l’église peut être décelé dans la
signification de la création d’Imeko comme Cité
Céleste.
La pérennisation commencée par Oschoffa
continua après sa mort par son successeur le Pasteur A. A. Bada. La période
1987-2000 a été pour l’ECC une véritable époque de crise de direction. Une des
conséquences les plus significatives de cette crise se traduit par un sentiment
de division dans la loyauté envers les autorités de l’église, et l’indiscipline
sévit chez de nombreux fidèles de base. Plusieurs paroisses furent
accusées d’avoir refusé de verser leurs obligations financières envers
l’autorité centrale, et également de s’être partiellement abstenues de
participer aux activités générales du programme de l’église. Un des faits les
plus marquants de cette période fut celui du recours à la justice que Alexandre
Bada dénonça comme la cause majeure du
fractionnement de l’église [ 19 ]. La bataille
juridique au sein de l’église peut être considéré
comme l’étincelle qui a mis le feu aux tendances schismatiques et qui donna
naissance aux multiples tendances par la suite. Il faut préciser ici que
l’existence de tendances au sein du
courant majoritaire était avérée du vivant du Pasteur, mais cela prit une
ampleur sans précédent durant la période
après sa mort, et tout spécialement
durant l’imbroglio de la crise de la direction de l’église.
On peut affirmer que si l’inter-règne
eu des conséquences à long terme sur l’avenir de l’église, cela ne causa aucun
traumatisme majeur et ne provoqua aucune rupture grave ni de blessure fatale
pour l’église elle-même. Certains événements survenus durant cette période
laissent penser qu’en fait l’Eglise s’est même trouvée renforcée en se
confrontant à certains de ces problèmes. Par exemple, la série de lettres et
les multiples messages adressées à plusieurs reprises
pour solliciter des membres de l’ensemble des paroisses un soutien inébranlable
et un engagement envers l’Eglise des origines, durant le déroulement de la
crise du pouvoir. Les événements entourant la mort du Fondateur et durant
la décade qui a suivi dénote l’interprétation de son rôle aux yeux de ses
successeurs ainsi que l’ajustement institutionnel et les réponses individuelles à son absence. Leurs réponses sont
révélatrices de la nature du paradigme religieux que le Pasteur Oschoffa avait créé, un système qui pouvait survivre sans
sa présence. Un témoignage de la pérennisation
que l’on peut observer dans l’Eglise après la mort du fondateur est
l’initiative prise par le Bureau des Trustees pour combler le vide produit par
sa disparition. La nomination d’Alexander Bada en tant que Pasteur fut
accomplie par les Trustees environ trois
mois après la mort d’Oschoffa, mais il fallut
attendre sa ratification par une « approbation générale » et
une « acclamation du peuple » par l’ensemble de la Congrégation
lors de l’Assemblée de Noël à la Cité Céleste
à Imeko le 17 et le 25 décembre 1985. Bada fut
installé officiellement et intronisé comme Pasteur le 24 décembre 1987, peu de
temps après qu’un membre des Trustees eut lancé une action en justice contre
lui et le Bureau des Trustees, contestant le caractère constitutionnel de sa nomination et de son installation.
Une étude approfondie du mécanisme de la
pérennisation des pouvoirs dans le contexte de l’Eglise du Christianisme
Céleste se justifie dans la mesure où c’est dans cette perspective que Bada le
second leader émerge pour jouer son rôle éminent. Weber (1947 :370)
souligne ce point dans son ‘Wirtschaft &
Gesellschaft’, lorsqu’il dit que : « Le
charisme est un phénomène typique des
mouvements religieux prophétiques…dans leurs période de jeunesse. Mais aussitôt
que le pouvoir a assis son autorité, et surtout
aussitôt que la maîtrise est assurée sur la grande masse du peuple, il laisse
place aux force de la routine quotidienne ».
C’est dans l’existence très factuelle d’un deuxième leader charismatique que la
pérennisation devient possible et réalisable. En d’autres termes, le passage du
pouvoir charismatique à la routine est mieux assuré par l’arrivée d’un
deuxième leader quelque peu moins
charismatique que le fondateur, mais encore assez charismatique pour permettre
la transition et asseoir sa légitimité [ 20 ]. Oschoffa en tant que première figure charismatique mit en
place et assura la continuité de sa vision particulière de l’Eglise. Bada en
tant que successeur et seconde figure charismatique apparaît pour assurer la
continuité de ses caractéristiques
charismatiques, pour mettre sur pieds la machinerie quotidienne qui permet aux
choses de tourner rond, et s’assurer de son bon fonctionnement. Ainsi,
« la pérennisation se fait jour non pas seulement en raison des qualités
ineffables du charisme mais en raison d’une certain nombres
de besoins à satisfaire, associés à la nécessité de poursuivre le maintien du
système social » (Toth 1891 :120).
Bada exerça le pouvoir dans l’Eglise après la mort
d’Oschoffa ; il est clair qu’il ne fut pas le
créateur du rôle de leader charismatique qu’il a assumé. Au contraire, il
endossa un rôle dont les perspectives avaient déjà été définies avec précision,
et il l’assuma avec une manière admirable envers tous ses proches. Le caractère
humble de Bada attira des disciples dotés d’un tempérament similaire. Il fit savoir qu’il était favorable à une
élaboration collective des décisions. Cela permit le développement d’un système effectif
‘d’autorité institutionnalisée’, auquel Bada lui-même se soumis dans une large
mesure, mais cela lui occasionna d’être critiqué, affaiblissant ainsi l’aura du
deuxième leader charismatique. Bada introduisit quelques ajustements au niveau
de l’institution et intensifia l’enseignement évangélique au sein de l’église.
A côté de ses dons d’organisateur et d’évangéliste, ‘exceptionnels’ comparés à
ceux de son prédécesseur, Bada manifesta
de réels charismes dont il existe de multiples témoignages par des fidèles ou
des non fidèles, qui consolident leur
croyance en lui comme Pasteur charismatique doté de véritables pouvoirs
spirituels de guérison.
La période qui suit immédiatement la disparition du
fondateur/leader d’un groupe est critique, c’est une période qui généralement
conduit à des dysfonctionnements majeurs et a souvent des conséquences
néfastes sur le groupe lui-même. Le
problème de la succession est souvent déclaré et vécu comme le traumatisme
déterminant en de telles circonstances [ 21 ]. Oschoffa
décéda le 10 septembre 1985, 10 jours après qu’il soit victime d’un accident de
voiture effroyable, avec son chauffeur et trois de ses assistants, alors qu’ils
se rendaient à Ibadan pour y assister à un programme de l’église. On a rapporté
qu’il est mort alors qu’il était en train déjà de bien récupérer du choc de son
accident, à l’hôpital. Le fait que l’annonce de sa mort retint l’attention dans
le monde entier [ 22 ] est le signe de la notoriété et de
l’étendue de l’implantation que l’église avait déjà connues au cours des quatre
décennies du règne d’Oschoffa. Il fut enterré le 19
octobre 1985, dans sa ville de naissance, Imeko, au
milieu des pompes et de l’apparat. Cela correspondait à son souhait de reposer
auprès de sa mère, dans la terre de sa famille ; et d’avoir sa tombe mise
à part comme un endroit sacré et un lieu de pèlerinage [ 23 ].
Le fait que ces directives furent suivies fidèlement
par ses successeurs montre bien que Oschoffa
avait démarré le processus d’institutionnalisation de son vivant. La
démonstration peut-être la plus significative que l’église était déjà engagée
dans ce processus est le côté imprévu de la mort de son Pasteur –fondateur. Sa
mort constitua un tournant dans l’histoire de l’ECC. S’il avait plus vivre plus
longtemps ou s’il avait pu respecter tous les dispositifs de la constitution
concernant la transmission du pouvoir, il aurait épargné à l’église qu’il laissait derrière lui les
affres inhérents à un interrègne. Oschoffa a-t-il pressenti dans quels problèmes insolubles il
laissait ses successeurs ? Il n’est peut-être pas loin de la vérité
d’affirmer qu’il n’eut aucune prémonition de sa mort, quand bien même certains
prétendent le contraire. Quoi qu’il en
soit, avec sa mort, l’ECC s’est
retrouvée dans l’obligation de se confronter avec la succession du pouvoir,
avec le maintien de la continuité, et avec la pérennisation des charismes. Il
est étonnant de relever que pendant environ deux années l’ECC connut une
transition relativement douce et réussie pour une nouvelle conduite du pouvoir, après la disparition de son fondateur et chef
charismatiques en 1985.
Mais par la suite, une série inattendue d'événements
internes dramatiques interrompirent ce calme et plongèrent les membres dans une
succession de désaccords et de controverses sans fin. Au nom de proclamations
perçues par les fidèles comme ayant été faites sur « ordre de Dieu »
par le Pasteur-Fondateur (Cf. Constitution p.2), le mode de succussion au poste
de Pasteur (comme décrit dans l’article 111 de la Constitution) étendit l’éligibilité à n’importe quel rang
de la hiérarchie. L’article est le
suivant :
SUCCESSION AU POSTE DE PASTEUR
111. Attendu que le Prophète Pasteur Fondateur de l’Église
du Christianisme Céleste à proclamé publiquement que
par inspiration divine, il lui a été révélé ce qui concerne le mode de
désignation ou de sélection d’un successeur au poste de Pasteur et Chef
Spirituel Mondial de l’Église du Christianisme Céleste; il est fermement établi
que :
1- Le Successeur au poste de Pasteur et
Chef Spirituel Mondial de l’Église du Christianisme Céleste peut être de
n’importe quel rang dans la hiérarchie de l’Église et devra, au moment choisi
par Dieu pour le révéler à celui qui occupera alors le poste de Pasteur, être
nommé et proclamé comme successeur.... (Constitution ECC, p. 37)
Trois points sont à noter dans cette clause
conditionnelle à savoir, l’éligibilité au poste, la révélation par Dieu du successeur au
Pasteur en place, la nomination et la proclamation du nouveau Pasteur.
Ceci signifie par conséquent que la
nomination et la proclamation d'un successeur ne peuvent être faites que sur
"une inspiration divine" reçue et révélée par le Pasteur en activité.
Cela présuppose également que l’éligibilité pour le poste n'est pas limitée au
collaborateur le plus haut gradé du Pastor-Fondateur
mais inclut n’importe quel rang dans l'église. Il est extrêmement probable qu'Oschoffa avait une idée du degré de sensibilité que la question de sa succession
à la tête de l’église pourrait revêtir, et pressentait à quoi l’ECC allait
ressembler après sa disparition. Une telle clause constitutionnelle a été
probablement prévue par le Fondateur pour garder la question de sa succession
ouverte aussi longtemps qu'il vivrait. Un regard critique sur ces dispositions
constitutionnelles révèle la présence de passages flous, car il n'est pas pris
en compte le fait que la mort soudaine du Pasteur en place rendra inopérante la
clause appropriée, pour donnera naissance aux désaccords de personnalités,
aux luttes pour le pouvoir, aux
dissensions et finalement au marasme. Juste comme dans tout autre groupe ou
organisation, ces lacunes ont eu pour
conséquence d’ébranler à sa base même l'unité du mouvement qu'Oschoffa avait édifiée par son charisme personnel. C’est
sur ces circonstances qu’un des successeurs d’Oschoffa
se lamentait en faisant le constat que « Oschoffa,
un homme doté d’une telle élévation spirituelle, n’avait pas le droit de donner
en héritage à son église une telle situation de confusion » … [ 24 ]
Cependant, quoique Oschoffa n'ait pas désigné et n'ait pas proclamé son
successeur avant sa mort, plusieurs de ses suivants se livrèrent à un examen
minutieux de toutes ses déclarations publiques
pour en extraire les indications qui pouvaient révéler qui serait le
successeur. Et c’est Alexander Bada qui le premier a été officieusement
pressenti, puis accepté par beaucoup comme successeur du Pasteur-Fondateur, en
vertu de son statut de Suprême Evangéliste, qui était le grade le plus élevé
après celui de Pasteur. Il était en fait
le seul Suprême Evangéliste que l’église possédait. On remarqua également qu’il
avait été le premier Leader nigérien à recevoir l’onction par Oschoffa. Par conséquent, en raison de ce qu’il était
proche du Pasteur, et considérant sa longue ancienneté dans l'église, il fut
désigné comme héritier évident, à la majorité des membres, malgré les
dispositions constitutionnelles. Par ailleurs, dans une lettre d'Oschoffa daté du 29 octobre 1982 nommant Philip Ajose en tant que Supérieur Evangéliste, il est indiqué :
... « Je vous précise que juste au-dessus de vous dans l'ordre de
l'ancienneté, il y a trois personnes qui sont sous mon autorité supérieure – à
savoir - Suprême Evangéliste A.A. Bada, Supérieur Evangéliste Agbaosi, Supérieur Evangéliste S.O. Ajanlekoko.
J’ai une confiance absolue en eux, de jour comme de nuit. Lorsque moi-même,
Fondateur Révérend S.B.J. Oschoffa, Bada, Agbaosi, Ajanlekoko, et vous Ajose, nous nous réunissons, nous constituons la plus Haute
Autorité dans l'Eglise du Christianisme Céleste dans le monde
entier »... Dans une autre
correspondance au Supérieur Evangéliste Ajose datée
du 23 avril 1984, Oschoffa
a réitéré sa précédente remarque quand il a affirmé entre autres: ... « Je
souhaite vous faire savoir... que dans toute l'Eglise du Christianisme Céleste,
il y a seulement un Suprême Evangéliste et trois Supérieur Evangélistes... Je
vous explique maintenant que parmi ceux que j'ai énumérés, le seul qui dispose
d’un peu plus d'autorité que vous, Supérieur Evangéliste, est le Suprême
Evangéliste A.A. Bada, qui avec le même respect et amour qu’il y a chez
vous-même s’entretiendra avec vous de tous les sujets, comme je le fais avec
vous, et que de votre côté vous devrez servir avec respect et amour. [ 25 ]
La question qui vient tout de suite à l'esprit
devant ces remarques est la suivante : Pourquoi
Oschoffa met-il tant d’importance sur l'ordre
de l'ancienneté dans l’ECC? Cela signifierait-il qu’une lutte interne sévissait
déjà parmi ceux qui se considéraient comme les plus anciens de l’église ?
Quoi qu’il en soit, la plupart des dignitaires déduisirent que ces
éléments constituaient une indication d’Oschoffa sur qui devrait assurer sa cession. Que ce soit ou non le cas, un point demeure très clair de la
directive ci-dessus du Pastor-Fondateur. D'une part
il présuppose au sein de son "premier cercle" une polémique ou un
conflit larvé sur l’ordre d'ancienneté ou le rang dans la hiérarchie. D’autre part,
on verra plus loin qu’elle a servi à confirmer et renforcer l’ordre
hiérarchique ou la ligne de commandement de l'église. [ 26 ]
On a dit qu'Oschoffa avait
à nouveau réexposé l'organisation mise en place et indiqué l'ordre hiérarchique
de la Direction de l’ECC lors de la
cérémonie annuelle de Noël à Imeko en 1984, au moment
de sa prédication à l’ensemble des fidèles. On a dit qu'il avait à cette
occasion fait des reproches à certains de ses collaborateurs qui faisaient
preuve d’ignorance au sujet de l'ordre d'ancienneté de la hiérarchie supérieure
[ 27 ].
On doit noter que bien qu'Oschoffa
ait utilisé cette occasion pour revenir sur la question de l'ordre hiérarchique
de l'église, il n'y a eu aucune preuve ou trace qu'il ait nommé et proclamé
catégoriquement son successeur lors de cet événement. Les déductions faites à
partir des déclarations et des indications publiques données par le Pastor-Fondateur pendant sa vie contredisent l'article III,
sous-section (i) de la constitution de l’ECC qui ne permet à Bada aucune
possibilité d’accession automatique au poste comme successeur. Ce n’est pas que la constitution
interdise la succession au dignitaire de rang le plus haut dans l'ordre
hiérarchique de l’église. Au contraire, elle a étendu l’éligibilité à n'importe
quel rang de la hiérarchie de l'église. Ceci signifie que n'importe quel membre
de l’église, y compris le dignitaire le plus ancien dans le grade le plus
élevé, est susceptible de devenir le successeur du Pasteur, si et seulement
s'il était révélé au Pasteur comme candidat désigné par "l'inspiration
divine".
Il est
significatif de relever que peu après la mort de Papa Oschoffa,
en octobre 1985, un homme simplement identifié comme Amu,
non membre des Chrétiens Célestes, prétendit avoir rencontré le défunt
Pasteur-Fondateur pendant le jour, dans la brousse près de la frontière entre
les états Ondo et Ogun du Nigeria. Ceci se passait,
comme chacun le sait, alors que le corps de Papa Oschoffa
reposait dans une morgue à Lagos, puisqu’il a en effet été enterré le 29
octobre 1985. Cet homme Amu a également prétendu
avoir reçu un message spécial du Pasteur Fondateur d’avoir à informer
l’ensemble de l’ECC que Bada est son successeur. Ceci a été révélé à deux
occasions, d'abord lors d'une réunion des chefs de l’église où l’on a proclamé
que son message a été bien reçu par tous les membres présents. Deuxièmement, il
a assisté au culte de la Fête des Moissons à la paroisse de Ketu , grâce à l'annonce
précédente. On a dit qu'il porte une bible avec laquelle il a juré qu'il ait vu
Oschoffa dans le buisson qui lui a révélé Bada en
tant que son successeur, et qui lui a donné trois objets (une croix en bois,
des coquilles de corie, et un bâton de bougie) à
remettre à Bada [ 28 ]. La déclaration d'Amu a été acceptée par la congrégation de l’ECC quoiqu'il
ait été un élément extérieur à l'église. Apparemment, la majorité des proches
d'Oschoffa a considéré comme vraie l'histoire
racontée par Amu de sa rencontre avec le défunt
Pasteur Fondateur. Cette acceptation n'est probablement pas étrangère à la
croyance largement répandue dans le contexte culturel Yoruba que les fantômes
des personnes décédées peuvent apparaître aux êtres humains vivants. Elle souligne simplement l'importance que l’ECC
l'attache à la révélation. C’est pourquoi on a également accepté que le
prophète Oschoffa, à qui les Célestes reconnaissent
une véritable puissance spirituelle de guérison, et même de résurrection des
morts, a parfaitement pu parler à un vivant bien qu’étant mort, afin de
résoudre une crise dans l'église.
Plus tard, en 1992, dans son témoignage en tant que
témoin à charge dans le procès intenté
contre Bada et les autres membres du conseil à la Haute Cour de l'état
de Lagos par un membre de conseil d'administrateur de l’ECC, Ediemu Blin-Juan confirma comment les fidèles accueillirent
la déclaration d'Amu, et il témoigna que "tout
le monde fut heureux et il y eu des applaudissements par les fidèles lors de la
réunion" [ 29 ]. Cependant,
quelques membres se montrèrent incrédules et dénoncèrent l’authenticité du
témoignage d’Amu. Ceci se confirma à l’occasion du
procès à la Haute Cour de Justice de l'état de Lagos en 1992. Certains des
témoins à charge affirmèrent que lors des réunions où Amu
a raconté son expérience, l’église n'a pas procédé à un interrogatoire pour
confirmer la véracité de son témoignage et de son message pour l’église. Ainsi,
quelques membres, dans leur interprétation des clauses constitutionnelles sur
la succession, ont rejeté la déclaration d'Amu au
prétexte que la révélation divine en question devait être faite à Oschoffa dans le monde des vivants plutôt que dans
l'au-delà. Cependant, les messages en provenance d’Amu
et de beaucoup d'autres visionnaires se sont vus accorder la confiance
grandissante de la majorité des membres de l'église. Cela est devenu de plus en
plus clair dans des événements qui ont suivi, et a fini par être évident lors de l'acceptation de Bada comme Pasteur de CCC.
Comme pour ajouter à la légitimité de la déclaration d'Amu,
Bada fit serment sur la Bible devant une
assemblée annuelle de la congrégation qu’il n'avait jamais vu l'homme nommé Amu auparavant. La pratique du serment est une coutume
légitime dans la sphère culturelle Yoruba, qui a trouvé une place dans la
pensée et la pratique de l’ECC. Il est indéniable que les messages spirituels
qui ont été proclamés ont représenté un des facteurs qui ont facilité le choix
et l'acceptation de Bada comme successeur du dernier fondateur. Et peut-être
que la reconnaissance de la validité de ces communications par la majorité des fidèles d’Oschoffa est un signe supplémentaire de leur croyance ou de
leur reconnaissance des pouvoirs charismatiques et spirituels attribués au
Fondateur.
A la lumière des événements qui se sont déroulés
avant et après la mort d’Oschoffa, l’ECC s’est trouvé
plongée dans les difficultés sans aucun chef pour la diriger. Durant la période
post-Oschoffa, Le Comité Mondial regroupant tous les
représentants des Paroisses fut constitué. Ces dirigeants se rencontrèrent
régulièrement pour faire le point sur l’avancement et les problèmes de
l’église. Le Bureau des Trustees prit l’initiative de se réunir pour réfléchir
sur la nomination d’un successeur à la tête de l’église. A la fin de cette
réunion, A. A. Bada fut désigné et proclamé au poste de Pasteur, sous réserve de ratification par l’ensemble
de la congrégation. Il fut par la suite effectivement ratifié par
« acceptation générale » et « acclamation populaire » de la
part de l’ensemble de l’église lors du rassemblement annuel à Imeko, la Cité Céleste, pour les fêtes de Noël, le 17 et le
25 décembre 1985. Cependant, l’église fut dans l’obligation d’observer une
période d’attente de deux ans avant de pouvoir introniser véritablement son
dirigeant. Ce fut à l’occasion de la réunion du Comité Mondial du 5 septembre
1987 que deux délégués du diocèse du Bénin déposèrent une motion en faveur de
l’intronisation du vrai Pasteur. La motion fut acceptée à l’unanimité des
délégués en séance. Alexander Bada fut installé et intronisé Pasteur le 24 décembre
1987.
Bien que la section 111 de la Constitution ne
prévoie aucune succession par acceptation ou proclamation, ni n’autorise le
Bureau des Trustees à désigner le successeur du Pasteur en lieu et place de la
congrégation toute entière, l’initiative des Trustees fut néanmoins appréciée
comme un soulagement bien venu, et cela constitua un des multiples précédent
dans le mécanisme de pérennisation au sein de l’église après la mort d’Oschoffa. Après l’acclamation unanime des 17 et 25 décembre
1985, il devint clair que l’église se dirigeait vers une transition
relativement douce en matière de pouvoir, mais c’est alors, deux ans plus tard
en 1897, que cette paix naissante fut tuée dans l’oeuf
par un membre du Bureau des Trustees.
Environ trois mois avant l’intronisation de Bada en
décembre 1987, Owodunni intima une injonction
formelle à l’église au motif qu’elle n’avait pas le droit d’installer Bada.
Lorsque la Cour de Justice le débouta pour cette injonction, il déposa une
plainte pour contester la légalité au plan constitutionnel de l’installation du
nouveau Pasteur, alors même qu’il avait à l’évidence participé à sa nomination
en tant que membre du Bureau des Trustees. Il avait aussi été présent à
l’intronisation, et avait reconnu et acclamé avec toute la congrégation Bada en
tant qu’héritier légitime au poste de Pasteur.
De la même façon, le 31 octobre 1987, Agbaossi
convoqua de sa seule autorité une assemblée des membres de l’ECC à Porto Novo,
au cours de laquelle il se proclama ‘Régent’ de l’église. Tous ces événements
ne manquèrent pas d’avoir de graves conséquences sur la croissance et le
développement de l’église au moment de sa période post charismatique.
Une crise éclata à la suite du décès du Pasteur
Fondateur au moment même où l’ECC s’efforçait de régler ses problèmes de
succession du pouvoir, de continuité et de pérennisation des charismes.Comme expliqué plus haut, la soudaineté du décès
inattendu du Pasteur Fondateur le 1er septembre 1985, la stricte
observance des dispositifs de la Constitution relatives à la nomination
régulière d’un successeur au poste de Pasteur devint impossible à appliquer.
Comme le relata plus tard la Direction Générale Internationale dans une
publication à la presse :
‘…c’est à la lumière de
l’inapplicabilité de la section 111 de la constitution, que la proclamation par
le Bureau des Trustees de la nomination du Révérend A. A. Bada comme Pasteur de
l’Eglise de Christianisme Céleste dans le monde a été faite à la réunion de la
Direction Générale Internationale de décembre 1985, suivie par l’intronisation
officielle en décembre 1987, deux ans après … la nomination a été unanimement
acclamée et acceptée par l’ensemble de la congrégation de l’église dans le
monde entier, y compris l’Evangéliste Honoraire J. K. Owodunni.’
[ 30 ].
Le 14 octobre 1987, un procès fut intenté auprès de
la Haute Cour de Justice de l’état de Lagos par un membre régulier du Bureau
des Trustee de l’ECC, l’Evangéliste Honoraire J. K. Owodunni,
qui avait déposé plainte contre le Pasteur Bada et les autres membres du Bureau
des Trustees. Owodunni dévoila ses intentions
lorsqu’il déclara que : ‘ma décision d’intenter une action en justice m’a
été dictée spirituellement. Parmi d’autres révélations, j’ai entendu une voix
dans un songe le 20 août 1987, me demandant de défendre la constitution, qui
est la véritable fondation sur laquelle toutes les affaires de l’église sont
ordonnées…’[ 31 ].
Il ne fait aucun doute que Owodunni
appuyait solidement sa position sur les lacunes de la Constitution de l’ECC
lorsqu’il fit la démonstration que :
1- La nomination et la
proclamation du Suprême Evangéliste Alexander Abiodun
Bada comme successeur au poste de Pasteur de l’ECC était nulle et non avenue,
et ne pouvait être suivie d’aucun effet.
2- Les Trustees de l’église
(Diocèse du Nigeria) n’ont aucun pouvoir
reconnu par la Constitution de 1980 quant à la nomination au poste du Pasteur
3- Tout acte officiel décidé ou
réalisé par Bada en tant que Pasteur ou successeur à ce poste, depuis et à
partir du 24 décembre 1985, est nul et non avenu, et ne pouvait être suivi
d’aucun effet.
4- La soi-disant intronisation
et installation de Bada le 24 décembre 1987 est caduque et frappée de nullité.
En conséquence de quoi, il intima une injonction à Bada « de cesser de se
parader en Pasteur en arborant les habits et attributs attachés à la fonction
de Chef de l’ECC » [
32 ].
A la suite de cette plainte, Bada et le Bureau des
Trustees contre attaquèrent par un déclaration selon
laquelle : « ils sont dépositaires légaux de la possession, la
direction et la gestion de tous immeubles et terrains de l’église, et sont
propriétaires des immeubles et terrains de la paroisse d’Ijeshatedo… ».
Ils déposèrent également une plainte contre Owodunni
visant à l’empêcher, lui et ses adjoints, ses fidèles et ses supporters,
d’intervenir d’aucune manière dans les droits dont Bada dispose sur les biens
susnommés [33 ].
Avant d’entamer ces poursuites contre Bada, Owodunni
avait déjà au début de décembre 1987 demandé à la Justice d’empêcher l’église
d’introniser Bada comme Pasteur le 24 décembre à Imeko.
La requête fut rejetée par la Cour, dans un jugement qui pour la plupart des
gens constitua la base de la position de la justice sur l’ensemble de l’affaire
[ 34 ]. En conséquence de quoi, Bada fut intronisé comme Pasteur
légitime à la Cité Céleste d’Imeko le 24 décembre
1987, et donc en assuma toutes les charges et
s’assit à partir de cette date sur le trône du Pasteur.
Dans cette course aux procédures légales, Owodunni dévoila ses prétentions au poste de Pasteur, et se
référa à un certains nombre de faits qui selon lui
apportaient de façon suffisante la preuve qu’il disposait du droit légal à
succéder au Pasteur Fondateur, et que dans son cas, les dispositions de la
section 111 de la Constitution étaient dûment respectées [ 35 ]. Il appuya sa prétention sur une affirmation que le Pasteur avait déjà
choisi un successeur (qui était lui-même), et que cela serait bientôt confirmé
par une révélation du Saint-Esprit. Lorsque que la Cour enjoigna
à l’Eglise d’amender sa Constitution dans le but de faciliter les procédures de
succession au poste de dirigeant, Owodunni insista
que selon sa vision la Constitution ne devait pas être touchée tant que le
nouveau Pasteur ne serait pas révélé [ 37 ].
Quoi qu’il en soit, à l’issue de toutes les séances
du procès sur l’accusation principale, qui dura plus de quatre années, la Cour
Suprême prononça un jugement complètement inattendu qui surprit pratiquement
tous les membres de l’église. Le 10 janvier 1992, la Cour donna raison à la
démonstration présentée dans la plainte de Owodunni,
ainsi qu’à la plainte demandant à Bada « d’arrêter de se parader en
Pasteur et de se revêtir des habits et attributs attachés au rang de Pasteur de
l’ECC » [ 38 ]. Néanmoins, la prétention d’Owodunni à la succession régulière au poste de Pasteur fut
déboutée par cette même cour de justice, et fut qualifiée d’inauthentique, de
falsification, de secret éventé, de mensonges, et de trucage après-coup [ 39 ].
Le Jugement de la Cour Suprême du Lagos du 10
janvier a sans aucun doute balayé l'église comme une vague, car il l’a prise
complètement au dépourvu. C'est évident lorsqu’on voit la série de messages de
solidarité et les gages de fidélité, d’allégeance et de totale confiance
envoyée à Bada par l’ensemble des paroisses, tant dans le pays que depuis
l’étranger [ 40 ]. Des messages d’encouragement furent
aussi envoyés par des personnalités ou des organismes religieux d’autres
églises, comme L’Eglise du Nigeria (de culte anglican), ou l’Association des
Eglises Aladura du Nigeria [ 41 ]. Un des traits les plus surprenants de ces témoignages de
solidarité est que malgré qu’ils expriment leur indignation devant le jugement
rendu, ils déclarent et réaffirment leur soutien inaltérable pour Bada en tant
que « Chef Suprême » de l’église. En outre, ils proclament leur
sincère résolution à poursuivre leur route avec le courant officiel de l’ECC. Quoique Owodunni ait déposé une
injonction en première instance en 1992, la décision finale de la demande
d'appel instruite par les Trustees contre le jugement est resté en faveur de
Bada, les Trustees et le courant dominant CCC. Les Trustees déposèrent
également une plainte en préjudice contre l'exécution du jugement concernant la
détermination de l'appel en question. Celle-ci fut acceptée dans une décision
du 7 mai 1992 par le même Cour Suprême de Lagos, suspendant en conséquence
l'ordre précédent d'injonction concernant la
détermination de l'appel fait dans le procès [ 42 ].
Ce jugement à nouveau eut l’effet d’un événement
positif et un signe d’apaisement presque aussi évident que le flot de
félicitations et de solidarité qui se déversa sur la direction de l’église
envoyé par toutes les paroisses établies de par le monde [ 43 ]. Après la grâce judiciaire du 7 mai 1992, l’église se trouva
dans l’obligation d’attendre encore près de deux ans avant que l’appel des
Trustees revienne à la surface pour être pris en compte par la Cour d’Appel de
Lagos. La décision finale fut prononcée lors du jugement du 2 août 1994, qui
déclara que l’Honorable Evangéliste Owodunni n’avait
pas un statut qui lui permette d’attaquer en justice le Pasteur Bada. Cette
action en justice fut en conséquence rejetée et Bada fut réinstallé. Comme on
peut s’en douter, cette bataille juridique prolongée eut de graves conséquences
sur l’église. L’esprit de schisme sévissait partout pendant toute cette période
et plusieurs membres mirent à profit l’inter règne pour se tenir à l’écart du
courant majoritaire de l’église. Cette période prolongée de bataille et de
procès fit naître une situation quelque peu confuse durant laquelle des cas
notoires d’indiscipline se firent jour parmi les dignitaires et aussi de la
part de paroisses envers l’autorité de l’église. Pendant ce temps-là, toujours insatisfait par la décision de la
Cour d’Appel de 1994, Owodunni s’évertuait à obtenir
réparation auprès de la Cour de Cassation de Lagos. L’appel qu’il fit contre
Bada et le Bureau des Trustees fut enregistré par la Cour Suprême six ans
après, en l’an 2000. Le 30 juin 2000, le verdict de la Cour Suprême déclara
nulle et non avenue la nomination de Bada, ainsi que toutes les actions qu’il
avait entreprises depuis le 24 décembre 1985 jusqu’à ce jour. Dans le même
temps que le Bureau des Trustees s’inclinait de la main gauche devant
l’autorité du jugement rendu par la Cour Suprême, de la main droite il assura
Bada de son soutien entier et de la reconnaissance de son pouvoir, en accord
avec une large majorité des fidèles. Reconnaissant de cet acte de fidélité,
Bada rendit hommage à leur loyauté et solidarité dans un article de publicité
d’une page entière qu’il paya dans un journal, où il déclara, en
substance :
« je souhaite profiter
de cette opportunité pour exprimer tous mes remerciements au Dieu Tout Puissant
… je suis également plein de gratitude envers la loyauté, l’attachement,
l’amour et la fidélité sans précédent que j’ai reçus du Bureau des Trustees,
des Chefs de Diocèses, des Most Senior Evangélistes, des Bergers, des Seniors Evangélistes,
des responsables de Paroisse, des Sœurs des Comités et des Associations, des
Comités pour la Jeunesse, des membres de
l’Eglise du Christianisme Céleste de partout dans le monde, des Chefs religieux chrétiens ou musulmans,
les Royal Fathers et le General Public en relation
avec le jugement rendu par la Cour il y a 15 ans sur mon intronisation comme
Pasteur mondial de l’Eglise du Christianisme Céleste. Puisque cette affaire en
est arrivée à son achèvement, en concluant en substance qu’aucun successeur ne peut être choisi pour
remplacer le Pasteur-Fondateur de notre église, …sans amender la Constitution
de l’église, il est devenu nécessaire d’agir en conséquence … je vous implore à
tous de garder votre calme. Ce n’est pas le moment de pratiquer l’autosatisfaction,
pas plus que de se laisser aller à l’amertume ou aux revendications. Ce n’est
pas non plus le temps de verser dans la critique systématique… nous devons
utiliser le moment présent pour nous rapprocher du Seigneur et Lui demander en
prière de nous guider et nous indiquer la voie vers où nous engager. La
Direction de l’église fera tout pour que l’église sorte de cette période
troublée plus forte et plus unie pour mener à bien les œuvres que notre
Seigneur Jésus-Christ nous a confiées. J’ai la ferme conviction que c’est Lui
qui nous a choisi, et pas le contraire. Le Corps de
Christ, tout au long de cette période de construction de l’église, a été secoué
par les querelles, les méchancetés et les rancunes, qui sont les fruits de
Satan. Il n’y a rien qui doive nous surprendre là. Mais qu’importe, je reste
persuadé au plus profond de mon être que Jésus reste aux commandes et qu’à la
fin des fins Son Eglise triomphera en s’élevant au dessus
de tous ses ennemis… Amen. » [ 45 ]
Dès que le verdict de la Cour Suprême fut connu, Owodunni s’auto-déclara Pasteur et Chef Suprême de l’ECC, supporté il est vrai par un très petit
nombre de Paroisses, et d’ailleurs
ostensiblement non reconnu par le courant principal de l’église.
Malgré toutes ces péripéties, Bada continua de
porter les signes et attributs du commandement de l’église dans le monde
jusqu’à sa mort le 8 septembre 2000. Il
décéda au Greenwich District Hospital à Londres, et
fut inhumé à côté de la tombe du Pasteur Oschoffa à
la Cité Céleste d’Imeko le 29 septembre 2000. [ 47 ]
Suite à la disparition de Bada et en application du
jugement de la Cour Suprême, la hiérarchie de l’église fit diligence pour
combler la vacance de la Direction. A cet effet, des passages significatifs de
le Constitution de 1980 furent amendés aux fins de rendre la succession du
Pasteur moins problématique. Le résultat en fut la nomination de Philip Ajose lors de la cérémonie annuelle de l’onction, le 24
décembre 2000, et par la suite son intronisation officielle à la Cité Céleste
le 24 février 2001. Il était jusque là Chef du
Diocèse Outremer dont le Quartier Général se trouve à Londres. Immédiatement, Owodunni déposa une nouvelle plainte auprès du Tribunal
pour contester la nomination de Ajose,
ostensiblement dans les mêmes termes que sa plainte contre Bada.
Philip Ajose dit-on serait
mort subitement le 2 mars 2001, six jours après qu’il soit officiellement
installé Pasteur mondial de l’ECC. Il fut lui aussi inhumé comme il convient à
la Cité Céleste le 30 mars 2001. A la
suite de sa disparition, la vacance à la Direction de l’église s’est prolongée
jusqu’à ce jour. Un journal a déclaré : « Il est évident aux yeux des
observateurs de la politique de succession au sein de l’église que la
hiérarchie de l’ECC n’est nullement pressée de nommer un successeur au feu
Pasteur Philip Honsu Ajose
qui est brusquement décédé » [ 48 ].
Il semble que des arrangements internes seraient en passe d’être pris par les
plus hautes instances décisionnaires de l’église ( le Bureau des Trustees et le
Conseil Pastoral) pour résoudre la crise du pouvoir qui se prolonge, même s’il
est toujours officiellement déclaré que l’église reste encore en attente d’une
révélation divine pour désigner le successeur du Pasteur. Oluremi
Ogunlesi, membre du
Bureau des Trustees a révélé à la presse que « après l’inhumation
(d’Ajose) nous nous nous mettrons à l’écoute des
révélations de Dieu pour un nouveau Pasteur. Mais cela dépend
uniquement de Dieu. Il n’y a personne qui puisse actuellement agir pour faire
avancer les choses » [ 49 ]. Adeyanju a fait remarquer que « le décès d’Ajose pourrait être le fait catalyseur qui provoquera la
réunification de l’église, toujours divisée en factions, et annoncera sa
revitalisation. Mais cela dépend de la façon dont la hiérarchie saura
tirer parti des circonstances. » [ 50].
Ce qui pourra un jour apportera remède aux problèmes
de succession au sein de l’église, tout comme ce qui par ailleurs ressortira
finalement des attaques en justice contre Ajose,
restent aujourd’hui encore l’objet de solides conjectures et de controverses
passionnées.
Traduction
française ?? Christian Le Dalour
Vénérable Senior Leader
Paroisse Autel de Vie de Drancy
Eglise du Christianisme Céleste de France